dimanche 18 mai 2014

Tout sera oublié

Cette fois j'ai décidé de parler d'un objet un peu particulier. Pas vraiment une bande-dessinée, il est le curieux fruit du mariage entre la plume d'un écrivain, Mathias Enard, et d'un peintre, Pierre Marquès. De cette union étrange est né un ouvrage à la croisée des chemins.

Pour ne pas oublier. 
Le travail de Mémoire, voila ce qui est abordé ici. Ne pas oublier l'horreur des guerres, la folie des hommes et ses conséquences. Dans le cas présent il s'agit de lutter contre l'effacement de la guerre de Bosnie-Herzégovine qui opposa les Serbes, les Bosniaques et les Croates et enflamma les Balkans entre les années 1991 et 1995.

"L’été 1991, les Serbes, les Bosniaques, les Croates commencent à se foutre sur la gueule et vingt ans plus tard on me demande d’imaginer un monument qui ne soit ni serbe ni bosniaque ni croate pour cette guerre oubliée plus que terminée."
Page 8 de l'ouvrage
Ainsi commence l'histoire et la commande passée au narrateur. Ce dernier va nous entraîner à sa suite dans ses recherches et voyages destinés à accomplir cette difficile tâche. Son périple commencera en France, où les monuments commémorant d'autres guerres ne manquent pas, avant de l'emmener à Sarajevo, ville meurtrie par le conflit et où la reconstruction gomme chaque jour davantage les ruines laissées par les affrontements. La vie y a reprit son cours et Marina, sa guide, le mène au travers de la cité qui panse ses plaies et tente d'oublier la douleur des combats. 

Grâce à la plume de Mathias Enard nous partageons avec le narrateur ses doutes et sentiments, et réalisons que la demande initiale, pourtant simple dans sa formulation, s'avère bien difficile à réaliser, soulevant nombre questions presque insolubles : comment figer l'intangible ? Comment capter l'essence d'un événement aussi énorme et absurde qu'est une guerre ? 

Au niveau de la forme ce livre hybride utilise une pagination homogène : en bas, le texte, bref et dépassant rarement les quelques lignes. Juste au-dessus une illustration venant le renforcer, le mettre en relief. Chacune d'entre-elle est en fait issu de photographies récupérées par Marquès, dénaturées, dé-saturées puis colorisée de nouveau à la gouache par le peintre, lui permettant ainsi d'y inscrire sa propre touche personnelle. 

Ce procédé et le travail en commun des deux auteurs donne un ouvrage immersif où textes et illustrations finissent par se confondre, se répondant l'un à l'autre et prenant tour à tour la parole. Pour comprendre Pour apprendre. Pour restituer. Pour ne pas oublier. 

Ouvrage original et exercice de style, le parcours de ce livre est une expérience à part entière. Un voyage en arrière vers un conflit qui s'efface mais aussi une réflexion sur le travail de mémoire, sa nécessité et sa difficulté. Car, comme l'illustre si bien l'ancien site des JO d'hivers et sa piste de bobsleigh laissée à l'abandon que visite le narrateur : 
Tout sera oublié. Absolument tout.
Camille de Toledo, le Hêtre et le Bouleau, cité en début d'ouvrage

Tout sera oublié

Auteurs :  Mathias Enard (texte) et Pierre Marquès (illustration)
Editeur : ACTES SUD
Date de parution : 2013
Pages : 144
ISBN 978-2-330-01808-5


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