mardi 22 octobre 2013

Justine Niogret : Gueule de truie

Le regard de l'exécuteur. Tiré de la couverture réalisée par Ronan TOULHOAT

Après avoir dévoré Chien du Heaume et Mordre le bouclier, j'ai donc attaqué avec un plaisir non feint ce nouveau roman de Justine Niogret. Déjà, rien que la couverture était une invitation. Après une ambiance moyen-âgeuse, Niogret place les protagonistes de ce nouveau roman dans une dystopie sur fond d’apocalypse : la fin du monde a eu lieu.
"Parce que le monde était tout ceci et pire encore ; le monde était sale, le monde était erreur. Cette vérité fait partie de l'enseignement, mais l'enfant n'a jamais eu besoin de l'apprendre. Il la connaît. Il la sent. Et la chose est juste, prouvée, puisque le jour du Flache, Dieu a ouvert la bouche pour parler et le monde est mort."
Extrait p.11 
Ce qu'il y avait avant le Flache n'est plus. Les hommes perdent progressivement leur humanité, mot après mot, souvenir après souvenir, pour irrémédiablement se fondre dans le néant qu'est devenu leur existence. La vie ne rime désormais plus à rien : tout est mort, le monde, l'espoir, l'avenir, tout. Dieu à abandonné ce monde et s'en est allé après l'avoir condamné, sans même un regard en arrière. Mais contre toute attente l'Homme a survécu et s'accroche à un survie illusoire alors que même l'espérance gît parmi les décombres du monde d'avant. Les Pères de l'Eglise œuvrent donc à terminer l'oeuvre de Dieu en éradiquant toute poche d'humanité rebelle, juste histoire de tirer le rideau une bonne fois pour toute.


Seattle, après la fin du monde

" (...) Ça dépasse de tous les côtés. On se prend les pieds sur des troncs couchés, des racines sorties du sol, ça n'est pas rangé ; ça a tort. Le monde est ruines grises, rues ouvertes, bris de glace et poutrelles crevant les murs. Il est punition ; il n'a pas à être moussu. Il n'a pas à être emmerdant, puisqu'il est mort. Gueule de Truie s'y connaît en morts, et s'il y a bien une chose qu'ils ne font pas, c'est avoir des exigences."
Extrait , p.21 
Gueule de truie, le personnage central de cette aventure, est une Cavale. Formé par les Pères de l'Eglise il est la main par laquelle ils parachèvent l'anéantissement de ce monde, conformément à la volonté du Créateur. Chasseur, bourreau et exécuteur, il est une sorte d'inquisiteur. Guidant la troupe, groupe d'hommes aussi anonymes qu'interchangeables, il traque toute implantation humaine pour la détruire, soumettant leurs chefs à la Question pour obtenir l'emplacement d'autres planques. 

Petit et puissant, Gueule de Truie endosse en toute occasion une combinaison noire et observe le désastre qu'est devenu le monde au travers des verres fumés du masque à gaz qui lui couvre intégralement la tête. C'est ce visage factice qui lui vaut d'ailleurs son nom, celui que lui ont donné les Pères, le seul qui en fait compte vraiment pour lui. La seconde peau de cuir qu'il revêt est pour lui une protection, une armure contre ce monde qu'il étranglerait de ses propres mains s'il le pouvait. Car Gueule de Truie n'a généralement pas besoin d'armes pour tuer. Ses poings et sa rage suffisent pour venir à bout de n'importe quel adversaire. 
"La fille regarde toujours le pont. Le vieux ne peut pas voir que quelqu'un l'attend de l'autre côté. Un garde, une fille ; plus jeune que la fille, et plus sale, aussi. Notre fille à une boîte, et l'autre fille a un gourdin clouté. Elle est vulgaire, très, alors la nôtre cherche un surnom et elle trouve ; la pute."

Extrait, p.42
La fille parcours le monde avec sa boite en fer. Elle est blonde et semble avoir un but mais n'en parle pas. De toute manière elle ne veut pas parler. Et c'est justement cela qui intrigue Gueule de Truie lorsqu'il croise sa route. Il sait qu'elle en est capable, elle ne veut simplement pas le faire. Elle n'a pas peur non plus, alors qu'elle devrait. Et puis qu'est-ce qu'elle a de particulier cette boite ?

Paysage dévasté - concept-art pour le jeu Fallout

Dès le moment de leur rencontre, le changement s'amorce, tant chez elle que chez lui. Leur existence commune devient voyage initiatique et quête de sens. Car c'est bien ici de quoi il est question dans ce roman : dans un monde qui n'en a plus aucun, où même les mots ne veulent plus rien dire, le sens est devenu la seule et unique chose à laquelle se raccrocher. La violence intrinsèque de Gueule de Truie est d'ailleurs née de cet état de fait : inconsciemment il ne peut accepter la vacuité de son existence, l'inutilité d'être, et repousse de toute son âme cette réalité où il ne se trouve aucune place au-dehors de lui-même.

Alors que la première partie du roman offre une structure et une narration plutôt classique qui lui valent sa comparaison avec La Route de Cormac MacCarthy (comparatif que je trouve personnellement très maladroit), la seconde moitié devient plus abstraite, plus symbolique. Les mots s'effacent derrière les idées, les notions évoquées, et le monde narré perd de sa substance et de sa cohérence. Ce procédé inhabituel et ce non conformisme volontaire de Niogret transpose la quête de sens des personnage du roman au propre cheminement du lecteur. En toute honnêteté, la lecture du roman m'a d'abord laissé perplexe un fois l'ouvrage refermé. Se sont alors enchaînées les questions et interrogations, me faisant alors réaliser que cet ouvrage dépassait le seul cadre de sa lecture.

Gueule de Truie s'avère finalement un ouvrage exigeant et déstabilisant. Ce n'est ni  un énième post-apo ou survival, ni une nouvelle ressassé de parcours initiatique. Non, on est ici en présence d'un voyage dont nous sommes tout à la fois spectateur et acteur, lecteur et protagoniste. Lire Gueule de Truie est une expérience à part entière qui ne laisse clairement pas indifférent. Je pourrais en dire bien plus long sur ce livre mais ce ne serait qu'une approche de ma propre expérience, un étalage de ma propre interprétation qui ne saurait être la même que la votre. A la réflexion, je me demande même si mon voyage sera le même à la seconde relecture car à n'en point douter je le relirais très certainement. En ce qui me concerne je considère donc ce livre comme une vraie claque et le classe d'emblée parmi les meilleurs romans que j'ai pu lire.  

Gueule de Truie

Justine NIOGRET
Illustration de Ronan TOULHOAT
Editions : CRITIC
Dépôt légal : février 2013
268 pages
Catégorie / prix : 17 €
ISBN : 979-1-090648-04-3 

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