vendredi 26 septembre 2014

Techno : Liseuse Kobo Aura HD

Me voici devenu depuis quelques temps un liseur high-tech. En effet, j'ai fait l'acquisition il y a maintenant quelques mois d'une liseuse numérique ; la KOBO AURA HD pour être précis. Pourquoi ce modèle plus qu'un autre ? Si le rétro-éclairage activable par un bouton fut un plus notable, c'est avant tout son gabarit qui força mon achat. En effet (voir photo ci-dessous) celui-ci est sensiblement identique à celui des livres de poche auquel je suis bien familiarisé. 

La liseuse vs un livre de poche. On peut voir qu'elle est juste un peu plus large et à peine moins haute.

Certes, on y perd niveau encombrement face à une KOBO GLO, bien plus légère et pratique vu qu'elle tient facilement dans une poche intérieure de veste. Mais en optant vers le modèle ivoire et en diminuant les marges au maximum on obtient un confort de lecture proche d'un livre de poche classique. En parallèle, cela permet une lecture des mangas plutôt confortable. Autres facteurs motivant mon choix : un port micro-sd pour améliorer son stockage interne (4Go de base, soit environ 3000 livres.) et sa prise en charge de nombreux formats.

Une liseuse ? Kézako ?


Mais qu'est-ce qu'une liseuse, au juste ? Et bien une liseuse est conçue avant tout pour lire. N'attendez donc pas d'elle de pouvoir surfer, regarder une vidéo ou bien encore jouer dessus. Cela, c'est le rôle des tablettes. Par contre pour la lecture pure, les liseuses leur sont bien supérieures, que ce soit en terme de confort que d'autonomie. Pour y parvenir on utilise dans ces dernières en lieu et place des écrans rétro-éclairés - fort fatiguant pour les yeux - la technologie de l'encre numérique

Pour expliquer les choses simplement, l'écran est constitué de petites alvéoles contenant des pigments noirs et blancs chargés négativement pour les uns, positivement pour les autres. En jouant sur la polarité des surfaces, on parvient à séparer les pigments. Ce procédé nécessite très peu d'énergie puisque seul le changement de polarité est nécessaire à l'affichage (=changement de page), le reste demeurant passif : les pigments font le reste le plus naturellement du monde. Comme de base il n'y pas besoin d'éclairage supplémentaire et qu'on n'est pas sujet au phénomène d'angles de vision des écrans, on se retrouve avec un rendu assez proche de celui d'une impression papier et un confort de lecture équivalent (fatigue oculaire, etc.) tout en offrant une autonomie à faire pâlir les tablettes (le constructeur annonce env. 15h de lecture sans usage du retro-éclairage.)

Pour le moment les liseuses sont monochromes, même si la plupart permettent désormais d'afficher de belles nuances de gris. Cependant des essais avec de nouveaux pigments laissent espérer l'arrivée prochaine de liseuses en quadrichromie qui devraient permettre des rendus proches de ceux de la presse écrite. Dans l'intervalle, il reste déjà fort à lire. 

Caractéristiques & Formats


  • Taille 175,7 x 128,3 x 11,7 mm
  • Poids 240 g
  • Écran Pearl E Ink WXGA+ 6,8 pouces (résolution de 1 080 x 1 440 pixels)
  • 4 Go d’espace de stockage (extensible via Micro SD)
  • Processeur cadencé à 1 GHz
  • Connectique Wi-Fi 802.11 b / g / n et Micro USB 
  • Intégration du magasin de livres Kobo
  • Formats   
    • eBooks : ePub, PDF et MOBI
    • Images : JPEG, GIF, PNG et TIFF
    • Texte : TXT, HTML, XHTML et RTF
    • Bandes-dessinées : CBZ et CBR
    • pdf

Ressenti et prise en main


Depuis plusieurs mois que je l'utilise, je n'ai pas ressenti de gêne particulière à son emploi - principalement en déplacement (tramway, train, ...) Bien qu'elle soit plus lourde que les autres modèles plus réduits, son encombrement reste sensiblement celui d'un livre de poche et donc la fatigue de lecture est similaire. L'affichage est confortable et les menus permettent de le personnaliser selon ses préférences de lecture. L'interface tactile est claire et relativement intuitive. Je pourrais lui reprocher parfois un certain manque de réactivité mais elle fait son job, c'est tout ce que je lui demande au final.

Le rétro-éclairage apporte du confort dans le cas de lectures dans des environnement sombres et je ne suis pas encore parvenu au terme de l'autonomie ; dans les faits j'ai rechargé de nouveaux livres via USB, provoquant ainsi la recharge de la liseuse. Car oui, cette dernière utilise un câble micro-usb pour connectique, tant chargement que pour la transmission de données. C'est plutôt pratique et évite de multiplier les câbles/chargeurs propriétaires.

Niveau formats je n'ai pas rencontré de problématiques majeures. Cependant, pour ce qui est des BD il vaut mieux privilégier un format type manga, en traits, n&b et mono page (pas scanné en double page) qui seront donc peu déformés. On peut certes pivoter l'affichage mais cela ne s'avère pas toujours confortable à la lecture. Autre remarque pour les cbz/cbr : la liseuse affiche le contenu de ces conteneurs sans tenir compte des dossiers et par ordre alphabétique si bien que cela peut parfois entraîner des difficultés de lecture si l'archive n'a pas été préalablement remaniée. 

Enfin les .pdf fonctionnent bien mais leur lecture est généralement fastidieuse puisque affichés pleine page. Imaginez une brochure A4 réduite au format poche et vous aurez une idée du rendu - assez horrible à lire - que cela donne sur la liseuse. Pour tout ce qui est livres, évitez donc comme la peste ce format. 

Conclusion


Je suis globalement très satisfait de ma KOBO AURA HD. Elle remplit la tâche pour laquelle je l'ai acquise et c'est le principal. J'ai été surpris par la prise en charge des .pdf mais on pouvait s'y attendre de la part d'un format destiné aux écrans. Pour leur consultation je recommande donc plutôt l'emploi d'une tablette, tout comme pour les BD couleurs ou en paysage. Pour tout le reste, une fois comprises certaines spécificités, cette liseuse s'avère plaisante à utiliser et répond parfaitement à mon propre besoin. J'y reviendrais ultérieurement par le biais d'autres billets, notamment sur les formats .CBZ/.CBR et pour donner quelques tips sur cette liseuse.

mardi 5 août 2014

Jour de Chance - Part. 02

Tonnie s'éveilla avec une forte migraine. Cela faisait déjà plusieurs mois que pour lui dormir était synonyme de céphalées au réveil. Si seulement leur intensité n'allait pas en s'accroissant ! Il aurait pu s'habituer aux maux de têtes des premiers jours mais maintenant le mal prenait des proportions de gueule de bois cataclysmique. Et ce matin-là, c'était encore pire : tout son crâne était soumis à la torture. Il avait la sensation d'avoir la tête coincée dans un étau dont la vis se resserrerait d'un cran à chaque nouvelle journée qui passe. 

Incapable de réfléchir davantage, il se leva et navigua dans le brouillard qu'était sa vision à travers la chambre. Une fois dans la salle de bain il attrapa mécaniquement le flacon de calmants et en avala trois, buvant directement au robinet. L'eau était fraîche et anesthésiante ; il passa la tête sous le jet. 


En levant les yeux il put se voir dans la glace, dégoulinant d'eau, fatigué, les yeux cernés, usé par toutes ces souffrances quotidiennes. Déjà les médicaments ne faisaient presque plus d'effet. Sur son front courait une cicatrice bien nette, unique vestige de l'accident qui avait failli lui coûter la vie. Elle faisait tout le tour de sa tête comme un bandeau de chair corrompue. Il pouvait la suivre du doigt, même à travers le cuir chevelu. Parfois, lors de nuits agitées, il lui semblait revivre en cauchemar l'opération. Il se revoyait, sanglé sur la table d'opération, tellement ligoté qu'il pouvait à peine respirer, observant le personnel médical s'agiter autour de lui et murmurant des choses incompréhensibles. Puis soudain tout le monde se figeait alors qu'un Indien apparaissait dans son champ visuel, coiffé de plumes, le visage recouvert de peintures rituelles ; le manitou, le grand sorcier, le médecin-chef lui annonçait alors que tout se passerait à merveille. L'assemblée se mettait ensuite à chanter, à scander un air oublié, une quelconque mélopée barbare, étrange et envoûtante. La pièce commençait à tourner, vite, très vite, de plus en plus vite, le plongeant au cœur d'un tourbillon, un maelström insensé, une spirale folle où seul l'homme-totem demeurait immobile, levant son tomahawk, inexorable, menaçant, lui attrapant les cheveux avant de laisser tomber sa hache de pierre comme un couperet. Il criait, se réveillait en sueur, poisseux et tremblant...

Tonnie reprit son souffle, essuya les gouttes de sueur froide qui perlaient sur son front et reporta son attention sur le miroir. Quelque chose dans son reflet le perturbait. Il se scruta, s'inspecta sous tous les angles sans qu'il puisse déceler une quelconque anomalie. Pourtant il savait que l'homme qu'il observait ce jour-là dans la glace n'était pas vraiment lui. Expliquer pourquoi cet avatar de glace aux entrailles d'argent lui semblait être un parfait étranger était inutile. De même que un et un font deux, lui et son image étaient indubitablement différents, liés mais dissociables. 

Sa femme pénétra dans la salle d'eau. Il sentit contre son dos le contact de ses seins nus et la lente reptation d'une main sur son ventre pendant qu'une autre enserrait son sexe. Les lèvres de sa compagne effleurèrent son cou, embrassèrent sa nuque et ses épaules ; il frissonna de plaisir. Le désir l'assaillait par salves soutenues, comme si sa verge en érection, telle une antenne de chair vibrante, captait toutes les pulsions sexuelles de la planète, les amplifiait avant de les irradier dans tout son être. Il se retourna et l'embrassa avec fougue. Enlacés, ils firent l'amour sur le carrelage dont la fraîcheur n'arrivait pas à apaiser le feu interne qui ravageait leurs entrailles. La jouissance les accueillit tout deux dans un râle de volupté, les yeux brouillés, avant de les laisser pantelants, épuisés, vautrés sur le sol de la salle de bain.

samedi 2 août 2014

La Fille Maudite du Capitaine Pirate

Ha ! Qu’est-ce qu’on est serré, au fond de cette boite,
Chantent les sardines, chantent les sardines
Pour cette nouvelle escapade du côté de la bande dessinée j'ai décidé de vous présenter un ouvrage assez particulier car difficilement classable. En l’occurrence il s'agit du premier volume de La fille maudite du capitaine pirate, dessinée et écrite par Jérémy Bastian.

Le récit débute en 1728 à Port Elisabeth, Jamaïque. La Fille Maudite du Capitaine Pirate décide de partir à la recherche de son père disparu, l’un des redoutés flibustiers des mythiques mers d’Omerta. Accompagnée du perroquet Poivre d'As, la jeune fille se lance rapidement sur les traces de ce géniteur inconnu, que ce soit sur ou sous les mers, allant de rencontres en dangers sans jamais trahir son hérédité. Bref un récit de pirate foutraque, fantasmé et  fantasmagorique, car si Lewis Carroll ou  L. Frank Baum (Le magicien d'Oz) avaient voulus écrire une histoire de pirates, le résultat n'aurait probablement pas dépareillé avec La fille maudite du capitaine Pirate.

Dès les premières cases, le dessin hors-norme interpelle et déconcerte. Avec un trait entièrement à la plume, Jérémy Bastian semble prendre un malin plaisir à jouer avec les éléments constitutifs de ses cases qui finissent par transcender leur simple rôle premier en devenant partie prenante de la narration ; cases, textes et onomatopées explosent, se mêlent, accompagnant tout autant qu'ils contiennent l'histoire qu'ils soulignent. Même les bulles se font malléables, donnant à cette oeuvre un petit côté expérimental.

"Je vois trop rarement passer des œuvres originales - mais aussi originales que celle-ci ? Presque jamais ! Jeremy Bastian est un génie" 
Mike Mignola, créateur de Hellboy
Cela dit, si le dessin semble dériver sans but de case en case, cela n'est qu'apparent. En effet, si les artifices et effets se succèdent semble-t-il sans logique, force est d'admettre qu'ils empruntent pour la plupart aux grands classiques de la gravure ou de la peinture, notamment flamande. L'emploi de proportions grotesques pour certains personnages (un peu à la manière d'Eiichirō Oda dans One Piece) renforcent le côté conte de l'histoire alors que la mise en scène, rappelant souvent les toiles de Jérôme Bosch, confèrent également à l'oeuvre un côté pointu et référencé. En lisant La fille maudite du capitaine pirate, on a parfois autant l'impression de flâner de toiles en toiles dans une galerie de musée que de parcourir les planches d'une bande-dessinée.
Pour terminer j'ajouterais que vous pourrez lire une interview de Bastian ICI. De plus, et parce qu'ils ont suivis ensembles les mêmes cours à l'école d'Art de Pittsburg, ce dernier travaille également avec David Petersen à qui l'on doit les Légendes de la garde dont je parlerais dans un prochain billet.

Avec ce premier tome, Jeremy Bastian nous livre un ouvrage dépaysant, inclassable, parfois génial, toujours surprenant. Si on aime les histoires de pirates, les contes et la bande dessinée, alors ce bel objet doit faire partie de votre bibliothèque ! Vivement le tome 2 !


La fille maudite du capitaine pirate

Tome 1

Dessin et scénario : Jeremy Bastian 
Couverture Cartonnée, impression à chaud
Format 20,5x30
Pages 128
Parution 04/2014
ISBN 9782918596059

samedi 26 juillet 2014

Le conte de la princesse Kaguya


Cette fois j'ai décidé de vous parler de la dernière perle des studios Ghibli, à savoir "Le conte de la princesse Kaguya". Une fois n'est pas coutume, c'est Isao Takahata qui est aux commandes. Moins connu qu'Hayao Miyasaki, il n'en reste pas moins avec lui le co-fondateur des studios ainsi que le réalisateur d'un certain nombre de chefs d’œuvres de l'animation tels que le bouleversant "Tombeau des lucioles" ou encore le facétieux " Pompoko ".

Pour ce long métrage Takahata a cette fois jeté son dévolu sur un conte très populaire au Japon, Kaguya-Hime dont on attribue la paternité - ou plutôt maternité dans le cas présent - à dame Murasaki Shikibu, courtisane du milieu de l'époque de Heian (Xe-XIe siècle) Cette légende possède différentes appellations, les deux principales étant Kaguya-hime no monogatari (かぐや姫の物語, « Le conte de la princesse Kaguya ») et Taketori monogatari (竹取物語, « Le Conte du coupeur de bambou ».) Il s'agit en fait d'un condensé de sept contes distincts et assemblés pour en faire une histoire autonome. Du fait de leurs nombreuses similitudes et même si des passages lui restent propre, certains chercheurs pensent que le récit serait lui-même une transposition d'un conte tibétain.

Cette légende narre l'histoire d'un coupeur de bambous découvrant un bébé dans la coupe d'une canne de bambou luisante. L'homme décide alors de ramener le nourrisson dans son foyer où sa femme et lui décident finalement d'élever ce cadeau du ciel, s’émerveillant de la rapidité à laquelle grandit leur fille inattendue. Alors que la bambouseraie semble vouloir pourvoir au confort de l'enfant en fournissant au coupeur or et soieries, ce dernier y voit un signe du ciel et la nécessité de faire d'elle une princesse. Ils fait donc construire une somptueuse résidence en ville et y installent la désormais devenue jeune fille. Là elle y apprendra les choses nécessaire à son rang avant d'attirer la convoitise des puissants. Je vous laisse découvrir le reste par vous même.


Comme pour rendre hommage à Kose Ōmi qui fut célèbre par son emaki (絵巻, littéralement « rouleau peint ») de cette ancienne légende, les traits du dessin rappellent le fusain, les couleurs l'aquarelle. Ce choix, bien loin d'entraver l'animation en tous points irréprochable, confère au film un ton en totale adéquation avec le récit sur lequel il s'appuie : la style et la colorisation rappellent sans équivoque les estampes japonaises et le dessin à la fin simple et aéré nous inscrivent dans un récit fictif et poétique.

L'ambiance sonore n'est pas en reste. La bande originale fut d'abord confiée à Shinichiro Ikebe, qui a notamment travaillé avec Akira Kurosawa, avant finalement d'échoir à Joe Hisaishi, compositeur habitué des studios Ghiblis mais qui collabore ici pour la première fois avec Takahata. Encore une fois Hisaishi signe une BO magnifique servant à merveille le récit et et soulignant fort à propos le thème du film chanté par Kazumi Nikaidô.

En tant que réalisateur et scénariste, Takahata n'a plus grand chose à prouver et il le prouve encore une fois ici. Avec une réelle économie de moyens, il nous livre ici un film d'une extrême sensibilité, alternant drame et onirisme sans jamais nous perdre. Les émotions y sont toujours justes et les sentiments de chaque protagoniste sont directement perçus, sans artifice ni subterfuge aucun. Dès la première image l'animé nous happe et nous entraîne vers une fin que l'on devine sans attendre. Par bien des côtés, en visionnant "Le conte de la princesse Kaguya", on ressent de manière moins intense ce même sentiment ambiguë d'impuissance qui nous serrait les tripes dans "Le tombeau des lucioles" : l'espoir qu'à chaque instant que les choses s'améliorent alors que l'on sait pourtant inéluctable la conclusion.

Sensible, touchant, émouvant et beau, "Le conte de la princesse Kaguya" est un petit bijou de l'animation japonaise qui plaira aux plus jeunes mais aussi aux adultes tant certains éléments constitutifs de ce conte trouvent encore écho de nos jours. Assurément un film à voir, seul ou en famille, si on apprécie le cinéma d'animation.

Affiche japonaise

Le conte de la princesse Kaguya

Réalisé par Isao Takahata
Avec les voix de Aki Asakura, Kengo Kora, Takeo Chii plus
Genre Animation , Drame , Fantastique
Nationalité Japonais
Durée 2h17min

mercredi 23 juillet 2014

Jour de chance - Part.01

La pluie tombait sur la ville endormie. C'était une de ces pluies visqueuses dont les gouttes chutent du ciel comme des balles molles, boules de suif propulsées par la gravité. L'eau bavait sur les murs, ruisselait dans les caniveaux, recouvrant la ville d'une pellicule humide et grasse. De temps en temps un néon détraqué irradiait sa lumière fluorescente et maladive sur les murs détrempés de la ruelle avant de s'éteindre en grésillant.

Rock essayait de dormir, enveloppé dans un carton humide au milieu des ordures, poubelle parmi les poubelles. Il avait la tête embrumée et les paupières lourdes. Cela faisait une semaine qu'il n'avait rien avalé et il était à bout de forces. Il ne souhaitait plus qu'une seule chose, s'endormir et mourir sur ces restes de la vie d'une bonne vingtaine de personnes, ne faire plus qu'un avec la crasse et les déchets que l'homme laisse invariablement derrière lui, comme pour marquer son territoire. Car c'était ce qu'il était, une déjection de l'humanité, un marginal dont personne ne voulait, une anomalie. Quoi de plus logique que de mourir sur une poubelle, le seul lieu où il se soit vraiment senti chez lui, à sa place ? 

Mais malgré tous ses efforts il demeurait incapable de trouver ce repos tant attendu et de se laisser sombrer dans cet abîme cotonneux et réconfortant qu'était le sommeil. Bien qu'il en ignorât les raisons, il était extrêmement tendu. Au fond de son esprit torturé et agonisant une chose, comme une voix inaudible, l’obligeait à rester éveillé, à survivre à tout prix. Une vague de fatalisme balaya tout ce qui lui restait d'optimisme et d'espoir. Ainsi même la mort le rejetait ? Pourquoi donc était-il venu au monde parmi ces contrefaçons de l'évolution, ces hommes redevenus bêtes sauvages, ces régressifs ? Etait-il né uniquement pour être rejeté ?

Une voiture s'engagea dans la ruelle et son bruit le tira de sa torpeur fièvreuse. Il tenta d'ouvrir les yeux mais il dut les refermer aussitôt, aveuglé par les puissants phares halogènes du véhicule. Ses yeux le piquaient et des larmes coulaient le long de ses joues. Il grogna de douleur. Le véhicule s'arrêta dans un crissement de pneus à quelques mètres du tas de détritus dans lequel il se terrait puis il entendit des portières s'ouvrir et des bruits de pas allant dans sa direction.

Les hommes étaient maintenant tout proches. Ils étaient trois, empestant la cigarette et l'alcool. Ils était probablement armés car leurs vêtements sentaient aussi la poudre. Rock se mit à prier pour qu'ils soient saouls, sillonnant les ruelles en quête d'un clochard qu'ils pourraient à loisir étriper et souhaita que leur choix se porte sur lui. Il les laissa donc approcher, serein, feignant un sommeil qu'il était incapable de trouver. Il percevait chacun de leurs mouvements, entendait leur respiration, sentait leur proximité. L'un d'entre eux se pencha sur lui et il sentit dans son cou la morsure d'un pistolet à injection hypodermique.

Rock voulut réagir mais déjà la substance qui circulait dans ses veines agissait, anesthésiant son corps, inhibant ses muscles, se propageant de cellule à cellule comme une gangrène rongeant peu à peu ses sens. Cloué au sol par quelque force invisible, il avait la sensation d'être une marionnette sans ficelle, condamnée à une immobilité de chiffon. 

Un des hommes pianota un numéro sur un téléphone cellulaire :

« Nous en avons trouvé un... Non, aucun problèmes. Il n'a même pas bougé... Il dormait, je crois... Bien, on vous l'apporte tout de suite.»

L'homme raccrocha. Il s'approcha et lui murmura à l'oreille que c'était son jour de chance, son haleine avait un parfum mentholé. Rock n'en entendit pas davantage car il venait de sombrer dans l'inconscience.

jeudi 17 juillet 2014

Penny Dreadful


Le terme "penny dreadfull", littéralement "histoires à deux francs six sous", trouve son origine au 19ième siècle. A cette époque les romans gothiques étaient le style littéraire le plus en vogue en Angleterre mais les livres coûtaient si cher qu'aucun travailleur des classes moyennes n'avait les moyens de se les offrir. Du coup, seule une petite part des classes laborieuses avait accès à la lecture et seule la convergence de plusieurs facteurs permirent de changer cet état de fait : préalablement le gouvernement anglais entreprit une vaste campagne éducative visant à apprendre à lire et écrire à la plupart des enfants alors qu'en parallèle un nouveau modèle d'imprimerie à vapeur fut mit au point, permettant des volumes de publication à des niveaux jusqu'ici inégalés. Enfin, la suppression de la taxe de timbre sur les journaux et l'apparition d'un nouveau papier bien meilleur marché achevèrent de rendre possible l'essor d'une presse populaire.

Rapidement de nombreux périodique virent le jour, dont penny bloods and penny dreadfuls qui eurent un succès retentissant. Les histoires contenues dans leur pages permirent aux travailleurs d'oublier leurs journées de labeur harassante et de s'évader, guidés par la plume de Shelley, Stocker et autre romanciers dont les œuvres sont devenus des classiques du genre. Par la suite, et par déformation, l'expression "penny dreadfull" se mit à désigner les romans populaires de moindre qualité et publiées au rabais : bon marché mais mauvaises. 

Mais Penny dreadfull est également le titre d'une série créé cette année par John Logan et produite par Sam Mendes, duo à qui nous devons déjà Skyfall. Rien que l'évocation de cette association permit au projet de se concrétiser pour une première saison de 8 épisodes sans même passer par la case pilote. Se dotant d'un casting de premier choix (Eva Green, Josh Hartnett, Timothy Dalton, Billie Piper) et de décors somptueux.

La fine équipe au complet.
Durant cette première saison nous suivons les aventures de Sir Malcolm Murray, aristocrate explorateur, qui tente de délivrer sa fille Mina d'un mal étrange et qui est semble-t-il retenue contre son grès. Dans sa tâche il est assisté par Miss Vanessa Ives, amie d'enfance de sa fille et dotée d'étranges dons,  par le chirurgien Victor Frankenstein (Harry Treadaway), par l'américain Ethan Chandler, tireur d'élite et pour finir par son fidèle serviteur ramené d'Afrique, Sembene. Au fil des épisodes les parts d'ombres de chaque protagoniste se dévoilent tout en préservant l'aura de mystère qui les entoure. Le casting s'en tire d'ailleurs à merveille : Timothy Dalton est impeccable de bout en bout, Josh Hartnett est crédible en écorché mystérieux, Eva Green est habitée comme jamais. D'ailleurs la prestation de cette dernière participe pour beaucoup à l'atmosphère anxiogène de certains épisodes.

Vu comme cela on pourrait se dire que c'est une adaptation en série de La Ligue des gentlemen extraordinaires mais ce serait négliger les talents de scénariste de John Logan. S'il aborde certains romans gothiques de manière relativement frontale (Dorian Gray, par exemple), d'autres sont ouvertement détournés. Ainsi on croise un certain Van Hellsing, hématologue de son état, se confiant au docteur Frankenstein à propos des vampires et de ce que dissimule la nuit, tout en lui mettant dans la main un penny dreadfull ; la boucle est bouclée. Si les références demeurent toujours suffisamment explicites pour être directement identifiables, elles conservent toujours une différence subtile qui nous évitent une impression de déjà vu et confèrent à la série une part d'originalité propre.

La réalisation n'est pas en reste, notamment au niveau de la gestion du rythme. Car si les quelques scènes d'actions sont efficaces, le reste du temps les choses se font avec un flegme tout british. C'est la justesse et la maîtrise de cette alternance entre action et narration qui nous évite les affres de l'ennui et permet de nous plonger pleinement dans cette Angleterre victorienne mêlé de fantastique où lumières tamisées, brouillard et décors donnent corps à une Londres qui devient presque un personnage à part entière de l'intrigue. Je conclurais ce billet en disant que j'ai trouvé l'épisode final de saison (le 8ième, donc) particulièrement habile. Tout à la fois conclusion et transition, il confère à cette première saison autonomie et légitimité, comme si elle se suffisait à elle-même.


Intense, dense et sombre, Penny Dreadfull parvient à référencer un grand nombre d’œuvres, tant dans la littérature fantastique et gothique que dans le cinéma, sans jamais pour autant tomber dans le plaggiat. Bien qu'encore inédite dans nos contrées, je ne doute pas que cette série ne tardera guère à être diffusée sur nos écrans tant elle se classe assurément parmi les grands crus télévisuels de cette année 2014. Et ne boudons pas notre plaisir, une saison 2 de 10 épisodes est d'ores et déjà acquise. 

mercredi 18 juin 2014

Assassination Classroom

La classe 3-E ainsi que le corps professoral.
Pour ce premier billet consacré à un manga j'ai décidé de vous parler d'Assassination Classroom. Il s'agit d'un Shonen de Yusei Matsui prépublié dans le le magazine Weekly Shōnen Jump de l'éditeur Shūeisha depuis juillet 2012 et est éditée par par Kana depuis octobre 2013.

Après avoir détruit 70% de l'astre lunaire, une créature ressemblant à un poulpe et capable de se déplacer à MACH 20 a posé un ultimatum aux chefs d'états terrestres impuissants face à lui : il détruira la terre au terme de l'année scolaire (qui se situe au mois de mars au Japon.) Durant l’intervalle il sera le professeur d'une classe dans les membres auront pour mission de l’assassiner avant la date fatidique signifiant la fin du monde. Afin de les motiver une prime de 10 milliards de yens est mise en place et des tueurs professionnels, dûment mandatés par les gouvernements mondiaux, intègrent le corps professoral afin de transformer de simple collégiens en redoutables assassins. D'où le nom de la série.

La créature jette son dévolu sur la classe 3-E du collège Kunugigaoka, devenant par la même occasion doublement spéciale. Car en plus de recevoir secrètement une formation d'assassin en vue de sauver le monde en tuant leur professeur principal, cette classe se trouve être intégralement constituée des plus mauvais élèves du collège. En effet, sous l'impulsion de son proviseur, l'établissement d'études mise tout sur la performance scolaire si bien que les meilleurs éléments disposent du maximum de facilités alors que les mauvais finissent relégués dans la 3-E : locaux vétustes, prioritaires en rien, oubliés en tout et sans possibilité d'évolution aucune. En faisant ainsi de cette classe des parias et souffres-douleur, les autres élèves du collège se retrouvent stimulés et motivés afin de pas s'échouer en 3-E, la classe des "Epaves".
La 3-E en pleine séance de travaux pratiques.
En dépit d'un pitch foutraque, Yusei Matsui signe en fait pour le Jump un shōnen reprenant tous les canons des mangas pour adolescents : un ennemi à priori invincible, un groupe de héros lancés bien malgré eux dans une lutte féroce, l'apprentissage face à l'adversité, etc. Le dessin est net et agréable, mais n'a rien d'exceptionnel. Par contre la narration et le rythme sont vraiment maîtrisés. Je ne le considère pas non plus comme un gag manga ; si certaines situations se révèlent cocasses, Assassination Classroom est amusant mais ne se veut pas drôle.

En fait, on aurait même pu croire que cette série puisse rapidement devenir ennuyeuse. Mais c'était sans compter sur l'inventivité de son mangaka : malgré sa situation ambiguë la créature, surnommée Koro par ses élèves, se révèle également un professeur exceptionnel, poussant chacun d'entre-eux à se surpasser et à exploiter au mieux leurs aptitudes naturelles. Les collégiens, d'ailleurs, et ce même si certains sortent du lot, sont la plupart du temps traités comme une groupe homogène, faisant corps et front ensemble. La classe des épaves devient alors un personnage à part entière, plaçant Koro en position centrale du récit, inversant par la même occasion les codes habituels de ce type de récit et brouillant les pistes. Certains chapitres, celui narrant l'examen semestriel par exemple, sont cependant vraiment originaux dans leur découpage et leur narration, apportant de place en place de la surprise et de la nouveauté à l'histoire.

A la lecture de cette série je ne peux en outre m'ôter de l'esprit que la valorisation systématique des méthodes d'enseignement de Koro et la mise en avant du travail de sape permanent qu'oppose le proviseur du collège à la classe 3-E cache en fait une satire du système scolaire japonais : valorisant la performance, la force de travail et d'apprentissage, ce dernier ne semble pas permettre d'après l'auteur l'épanouissement et la valorisation personnelle.

Avec 9 volumes parus au Japon au moment de ce billet et 4 en France, Assassination Classroom est un bon manga, fun et plaisant à lire. Cette année il est d'ailleurs le premier choix de conseil dans les librairies spécialisées au Japon, ce qui se comprend aisément du fait de son accès facile. A noté qu'un OAV a été diffusé lors du Jump Super Anime Tour 2013.

Assassination Classroom

Dessin & scénario Yusei Matsui
Genre Manga (broché)

lundi 9 juin 2014

The Rover


Cette fois-ci j'ai décidé de m'attarder sur The Rover, la dernière réalisation de l'australien David Michôd et présenté hors compétition au dernier festival de Cannes. Après l'effondrement de l'économie occidentale, seules les mines australiennes fonctionnent encore, attirant par la même occasion tous les rebuts de la société, paradoxalement les plus à même de survivre dans un pays dépouillé de tout avenir.

En effet l'Australie dépeinte dans ce film par Michôd est à bout de souffle, asphyxiée, sans perspective aucune. L'humanité s'accroche au peu qui lui reste, paumée en plein cœur de ce désert omniprésent et impitoyable : chaud, lumineux, aride, balayée par les sables de son glorieux passé. Les démarches sont pesantes, traînantes, désabusées. Mais le regard des hommes reste, lui, alerte, sur  le qui-vive. Car malgré tout l'humanité veut survivre, par n'importe quel moyen, même si cela ne signifie plus à rien, et s'accroche a une normalité désuète.

Ainsi, pour récupérer sa voiture, Eric, campé par un Guy Pearce tout en violence et colère a peine contenue, se lance à la poursuite d'une bande lui ayant volé sa voiture. Au passage il embarque Rey, le frère d'un des membres du gang laissé pour mort après une fusillade. Robert Pattinson, qui prête ses traits à ce jeune frère inexpérimenté à l'accent lourd, s'en sort vraiment bien, même s'il peine vraiment à égaler un Pearce magistral qui donne l'impression de pouvoir exploser à tout moment tant il dégage de violence bestiale retenue avec peine, à fleur de peau.

Mais si le jeu des acteurs porte le film, la réalisation n'est pas en reste. Les plans sont bruts et mettent en valeur ce désert australien qui sait ici se faire oppressant tant il bouche l'horizon. Plus impressionnante encore est l'ambiance sonore du film qui vient renforcer l’âpreté de ce qui est présenté, achevant de donner à ce film un air de road-movie à la Mad Max alors qu'il n'en est pas un.

Il est en fait assez difficile de parler de ce film tant la volonté de nihilisme a été poussé par son réalisateur. C'est un film âpre, rugueux, que l'on visionne avec ses tripes plutôt qu'avec sa tête. Exigeant et viscéral, The Rover est joyau brut tout juste extrait des terres australes, une expérience titillant directement notre cerveau reptilien.

The Rover

Un film de David Michôd
Avec Guy PearceRobert Pattinson
Genre drame

mercredi 28 mai 2014

HER


Il y a quelques jours maintenant j'ai eu l'occasion de visionner HER.
Je ne savais pas trop à quoi m'attendre : les retours que l'on m'en faisait étaient plutôt bons, quoique peu nombreux, et les critiques semblaient globalement favorables. Et puis j'avoue que la bande annonce m'avait suffisamment intriguée pour m'inciter à le voir.
C'est donc l'esprit ouvert que j'ai abordé le film.

HER est la dernière réalisation de Spike Jonze a qui l'on devait déjà quelques œuvres curieuses comme Dans la peau de John Malkovich ou Max et les maximonstres. De ce que j'en avais compris, il s'agissait ici de suivre le quotidien d'un homme tombant amoureux d'une I.A. et je m'attendais donc avant-tout à une comédie sentimentale. 

Du coup le film m'a - agréablement - surpris à plus d'un titre. Premièrement je ne m'attendais pas du tout à ce que ce soit un film d'anticipation ; peut-être l'avantage de ne pas m'être trop renseigné avant de le voir. Car ici nous sommes bien dans futur proche (2025) où la technologie a su se faire discrète, demeurer fonctionnelle sans être invasive. La plus grande partie du film est tournée dans des tours ou au pieds de buildings modernes et magnifiques, le tout sous un soleil radieux, accentuant ainsi le côté moderne.

Deuxième constat : aucune voiture - du moins que je m'en souvienne - n'est visible et les seuls moyens de transports employés sont collectifs : le métro et le train. La mode est également très décontractée et en dehors du spleen de personnage principal - incarné à l'écran par Joaqim Phoenix - et de celui de ses amis proches, la tristesse semble être absente des visages du reste de la population filmée.

Tout cela prit conjointement contribue à créer une impression d'"urbanisme bienheureux" et donnant à l'oeuvre un côté optimiste rafraîchissant. Ici on n'est pas dans un urbanisme invasif et glauque mais plutôt dans une vision SF qui n'aurait pas déparée dans la littérature de genre des années 70. D'où ce terme de rétro-futurisme que j'ai vu employé à plusieurs reprises dans différents articles lors de la préparation de ce billet. Bien que personnellement je trouve cet emploi un peu réducteur dans le cas présent du fait d'un manque de références explicites, le film partage avec eux un côté optimiste et positif.

Théodore - le héros de l'histoire - dans un plan extérieur.
Mais tout cela n'est que le décorum servant le propos car le film s’attache bien au traitement des sentiments et des relations humaines. Théodore, le héros du film, ne parvient pas à tourner la page de son couple qui a pourtant volé en éclats depuis bientôt un an. Le couple de sa plus proche amie est lisse, parfait, clinquant, factice : l'illusion du bonheur semble l'ultime recours à un bonheur fuyant. Théodore sait qu'il a aimé avec passion, qu'il y a eu des joies mais aussi beaucoup de peines. Mais que lui resterait-il ensuite ? Remplir un vide par un autre vide ? Une supercherie ? Voila pourquoi il hésite à signer les papiers du divorces. 

Car si le cadre de vie est devenu presque idyllique, enfin c'est une certaine vision de l'Eden, les gens y semblent à la recherche de sen(timent)s et cela est montré par le réalisateur de bien des manières. Premièrement par le propre métier du héros : ce dernier est écrivain publique, rédigeant pour d'autres des lettres manuscrites. A lui de mettre des mots sur la passion des autres, exprimer ce qu'eux-même ne parviennent pas à formuler (à vivre ?)

Le traitement même de la technologie dans le long métrage est également très révélateur. En effet, ici nulle évocation de médias de divertissement de masse : aucune télévision n'est montrées, aucune radio. On ne trouve que des ordinateurs ou des mobiles dont l'aspect vintage renforce leur côté purement fonctionnel. Tout est en commande vocale et ne nécessite aucune manipulation directe, preuve s'il en est qu'il s'agit bien ici de communiquer, que cela soit avec une I.A. ou bien avec des personnes. Le seul élément vraiment high-tech explicitement visible est la console de jeu qu'utilise Théodore pour tromper son chagrin et dont on n'observe que la projection holographique. Là encore, l'expérience ludique présentée est interactive et renvoie aux interactions humaines.

Veuillez patienter pendant le chargement de votre nouveau systéme d'exploitation.
Malgré sont traitement léger, presque détaché et sensible, HER se révèle en réalité bien plus subtil qu'il ne le semble de prime abord. En allant à contre-pied de nos habitudes de communications actuelles née du web 2.0, il ne fait que renforcer l'importance du simple fait de communiquer dans les relations humaines et que les réseaux sociaux ne sont qu'un moyen supplémentaire, pas une solution.

La réalisation est sobre et il est reposant d'avoir un film profond et calme, sans cadrage épileptique. Joaqim Phoenix est impeccable de bout en bout en campant un Théodore touchant et toujours juste. Scarlett Johansson, bien que totalement absente de l'écran vu qu'elle ne prête que sa voix à Samantha, l'I.A. auto-baptisée du héros, parvient cependant à lui donner une âme ; enfin pour peu qu'on l'ai vu en VO.

Je vais pas m'étendre davantage sur ce film qui aborde en parallèle, sans mot dire, de nombreuses thématiques chères  à  la littérature d'anticipation. Pouvant se regarder à différents niveaux, il me faudra à mon avis plusieurs visionnages pour en appréhender la pleine mesure. Ai-je trouvé que HER était un bon film ? Ma réponse est oui. Est-ce qu'il vous plaira ? Je l'espère autant qu'il m'a séduit. Pour ce qui me concerne, c'est ma première claque cinématographique de l'année.

HER

Un film de Spike Jonze
Avec Joaqim PhoenixScarlett Johansson
Genre drame, romance, science-fiction

dimanche 18 mai 2014

Tout sera oublié

Cette fois j'ai décidé de parler d'un objet un peu particulier. Pas vraiment une bande-dessinée, il est le curieux fruit du mariage entre la plume d'un écrivain, Mathias Enard, et d'un peintre, Pierre Marquès. De cette union étrange est né un ouvrage à la croisée des chemins.

Pour ne pas oublier. 
Le travail de Mémoire, voila ce qui est abordé ici. Ne pas oublier l'horreur des guerres, la folie des hommes et ses conséquences. Dans le cas présent il s'agit de lutter contre l'effacement de la guerre de Bosnie-Herzégovine qui opposa les Serbes, les Bosniaques et les Croates et enflamma les Balkans entre les années 1991 et 1995.

"L’été 1991, les Serbes, les Bosniaques, les Croates commencent à se foutre sur la gueule et vingt ans plus tard on me demande d’imaginer un monument qui ne soit ni serbe ni bosniaque ni croate pour cette guerre oubliée plus que terminée."
Page 8 de l'ouvrage
Ainsi commence l'histoire et la commande passée au narrateur. Ce dernier va nous entraîner à sa suite dans ses recherches et voyages destinés à accomplir cette difficile tâche. Son périple commencera en France, où les monuments commémorant d'autres guerres ne manquent pas, avant de l'emmener à Sarajevo, ville meurtrie par le conflit et où la reconstruction gomme chaque jour davantage les ruines laissées par les affrontements. La vie y a reprit son cours et Marina, sa guide, le mène au travers de la cité qui panse ses plaies et tente d'oublier la douleur des combats. 

Grâce à la plume de Mathias Enard nous partageons avec le narrateur ses doutes et sentiments, et réalisons que la demande initiale, pourtant simple dans sa formulation, s'avère bien difficile à réaliser, soulevant nombre questions presque insolubles : comment figer l'intangible ? Comment capter l'essence d'un événement aussi énorme et absurde qu'est une guerre ? 

Au niveau de la forme ce livre hybride utilise une pagination homogène : en bas, le texte, bref et dépassant rarement les quelques lignes. Juste au-dessus une illustration venant le renforcer, le mettre en relief. Chacune d'entre-elle est en fait issu de photographies récupérées par Marquès, dénaturées, dé-saturées puis colorisée de nouveau à la gouache par le peintre, lui permettant ainsi d'y inscrire sa propre touche personnelle. 

Ce procédé et le travail en commun des deux auteurs donne un ouvrage immersif où textes et illustrations finissent par se confondre, se répondant l'un à l'autre et prenant tour à tour la parole. Pour comprendre Pour apprendre. Pour restituer. Pour ne pas oublier. 

Ouvrage original et exercice de style, le parcours de ce livre est une expérience à part entière. Un voyage en arrière vers un conflit qui s'efface mais aussi une réflexion sur le travail de mémoire, sa nécessité et sa difficulté. Car, comme l'illustre si bien l'ancien site des JO d'hivers et sa piste de bobsleigh laissée à l'abandon que visite le narrateur : 
Tout sera oublié. Absolument tout.
Camille de Toledo, le Hêtre et le Bouleau, cité en début d'ouvrage

Tout sera oublié

Auteurs :  Mathias Enard (texte) et Pierre Marquès (illustration)
Editeur : ACTES SUD
Date de parution : 2013
Pages : 144
ISBN 978-2-330-01808-5


mercredi 14 mai 2014

Dead Line


Une fois n'est pas coutume, revoici une critique BD, et plus particulièrement de Deadline, parue aux éditions Glénat. Alors qu'il me restait un achat à faire chez mon libraire, ses deux conseils de nouveautés allaient vers Blue Note - dont j'ai déjà parlé sur ce blog - et la bande dessinée dont il est question ici. Etant moins intéressé par l'époque de la guerre de sécession que par celle de la prohibition, j'avais alors préféré le premier. C'est donc quelque mois plus tard que j'ai repensé à Deadline et me le suis procuré.

Après la lecture, je dois dire que mon ordre de choix était le bon puisque la lecture de Deadline m'a moins emballé que celle de Blue Note. Cela dit, ce one-shot ne manque pas de qualités, à commencer par le dessin et la colorisation de Christian Rossi à qui l'ont doit déjà la série W.E.S.T (Weird Enforcement Special Team.) Autant dire qu'il était déjà familier avec le genre. Le trait est clair mais le travail se situe surtout au niveau de la colorisation, franche et sincère, qui donne une réelle densité aux jeux d'ombres et de lumières ; les jaunes sont vifs, chauds, presque insoutenables, les ombres sont riches, subtiles, rafraîchissantes. Cela, allié à un découpage et une mise en scène habile, donne de l'intensité au récit et le jeu permanent des contrastes fait écho à l'histoire et aux notions qu'elle traite.

case de la page 26
La deadline est une ligne de démarcation dont le franchissement par un prisonnier impliquait qu'il pouvait être abattu à vue, sans sommation. Une ligne de mort, une deadline. Ce point de départ est en fait un moyen pour Laurent-Frédéric Bollée de conter un histoire débattant sur la différence et l'exclusion : différence de peau, de mœurs, de culture. La portée du récit se révèle donc très actuelle, surtout une année où la théorie du genre fait rage et que le mariage pour tous fait encore battre le pavé. Si le point de départ est habile, hélas la forme pèche. Là où le dessin et la mise en page se révèlent efficaces, le découpage convenu de l'histoire lui fait perdre une grande partie de l'intensité qu'elle aurait méritée, à tel point que l'on se demande par moment où tout cela nous mène vraiment. 

Je conclurais donc ce billet en précisant que si l'ouvrage est beau et demeure agréable à lire, il lui manque ce supplément d'âme qui en ferait un "must have". Si j'ai personnellement beaucoup apprécié la colorisation, la mise en scène (certaines planches ont beaucoup d'intensité) et une portée inattendue, j'ai cependant eu du mal à rentrer dans l'histoire. Ce ne sera pas cette BD qui me fédérera sur cette période de l'histoire américaine. Dommage, car pour une fois son angle d'approche était vraiment original.


DEADLINE

Scénario : Laurent-Frédéric Bollée
Dessin, Couleurs : Christian Rossi
Cartonné : 96 pages
Editeur : GLENAT (4 septembre 2013)
Collection : BANDES DESSINEE
Langue : Français
ISBN-10 : 2723489469
ISBN-13 : 978-2723489461
Dimensions : 31,4 x 23,8 x 1,4 cm

jeudi 8 mai 2014

Snowpiercer


Un petit moment d'éternité après et comme annoncé dans le précédent billet consacré au Transperceneige, voici le second article -  plus dense  - qui reste davantage sur les rails du film. Il est en effet toujours un peu compliqué de s'étendre longuement sur une bande dessinée si on ne souhaite pas trop en spoiler le contenu. Quoi qu'il en soit, du coup, le film de la BD cela donne quoi ?

Concept art pour le film.
Ce film réalisé par le sud coréen Bong Joon-ho souffre des mêmes défauts que toutes les adaptations : l'histoire est retouchée pour pouvoir s'adapter au support et aux contraintes cinématographiques. Du coups on est plutôt ici devant un condensé des trois histoires qui composaient la BD d'origine que devant une adaptation fidèle. Cependant, et c'est tout à l'honneur des scénaristes et du réalisateur, les thématiques et le fond sont restés préservés si bien que l'on pourrait tout aussi bien être ici en présence d'un troisième train-arche. Le film se trouve donc être ainsi à la fois synthèse et prolongement du roman graphique. 

Pour ce qui est de la réalisation, aucun doute possible : nous sommes bien devant un film coréen. On y retrouve ce cinéma référencé mais décomplexé qui n'hésite pas à une certaine crudité, notamment lors des phases d'action. Cette manière directe de filmer, presque candide, couplée à une mise en scène solide et dynamique permet d'immerger les spectateurs dans l'histoire qui leur est alors directement préhensile : ce qui est décrit est directement compréhensible et intégré, nous laissant alors l'opportunité de réfléchir aux notions abordées et sortir plus aisément du cadre du pur divertissement.

Le wagon aquarium - tiré du film.
Le découpage du film est synchronisé avec la progression des personnages dans le train, chaque wagon constituant son propre microcosme apportant son lot d'éléments, alternant stupeur et émerveillement. La rythmique de ce séquençage se révèle d'autant plus importante que si les premières scènes se révèlent assez longues, la cadence tend à s'emballer au fur et à mesure de la progression des héros. Cette segmentation ainsi que la réalisation immersive du réalisateur coréen donne l'impression aux spectateurs de suivre en direct l'avancée frénétique du groupe de queutards jusqu'à la locomotive avec une impression de quasi temps réel. Cela donne au long métrage un côté intimiste et percutant.

Les acteurs s'en tirent vraiment bien même si au final je n'en ai vraiment remarqué que deux : Song Kang-Ho , qui est l'acteur fétiche du réalisateur, et Tilda Swinton (la reine blanche de Narnia) que les maquilleurs ont si bien grimés qu'elle en est presque méconnaissable et ce malgré ses traits déjà particuliers. Chacun se montre toutefois crédible dans la peau du personnage qu'il incarne, aucun ne se révélant complètement irréprochable.

Grand lecteur de comics et de mangas, les rumeurs laisseraient supposer que le Transperceneige soit arrivé par hasard entre les mains du réalisateur de manière assez trouble (on évoque des copies pirates) mais ce fut pour lui une révélation.
Quand je l’ai ouvert, j’ai découvert qu’il s’agissait de l’histoire d’un train. Or, je suis littéralement obsédé par les trains (...) c’est un espace confiné, un lieu qui représente un challenge en termes de mise en scène. (...) Le Transperceneige m’apparaissait comme une oeuvre qui m’était destinée. Un geste du destin, un film né du hasard."

Propos de Bong Joon-Ho.

Cela tombe bien car ceux qui connaissent un peu la filmographie du réalisateur savent que Bong Joon-Ho aime traiter de politique ou de sujets de sociétés dans ses œuvres.

Côté écologie, le film se démarque de l'oeuvre originale par l'apport de certains éléments qui lui sont propres. Tout d'abord, là ou la BD choisissait de laisser planer le doute, les premiers instants du film expliquent de manière explicite et plutôt actuelle l'origine de la catastrophe planétaire : afin de lutter contre le réchauffement climatique les gouvernements mondiaux décident de la vaporisation dans la haute atmosphère d'un agent réfrigérant. Evidemment l'expérience foire, devient incontrôlable et la Terre entre alors dans une ère glacière globale, annihilant toute forme de vie.

Ensuite le réalisateur a choisi d'accentuer le traitement de la notion du travail de mémoire. Alors que dans la bande dessinée cela se ressentait surtout par la dérive linguistique des réfugiés du transperceneige, le réalisateur choisit d'utiliser le dessin. Tout à la fois hommage et référence à l'oeuvre originale ; c'est d'ailleurs Rochette himself qui signe les différents crayonnés utilisés dans le film. En parallèle, les dialogues entre les protagonistes évoquent à de nombreuses reprises cet oubli progressif dans lequel s'enlise cette humanité privée de ses anciens repères et prolonge en cela la stratégie employée dans le roman graphique.

Concept art pour le film.
Enfin le traitement religieux est différent dans le film : les survivants ne vénèrent plus leur arche, la Sainte Locomotive, mais son créateur, Wilford, incarné ici à l'écran par Ed Harris. Ce changement d'approche ici est à mon avis volontaire de la part du réalisateur car il transpose la thématique vers le culte de la personne et ses dérives : propagande, conditionnement, totalitarisme, contrôle, etc. Le parallélisme avec la situation nord coréenne, entre-autres, est vraiment trop flagrante pour être anodine.

Ordonné ainsi, le propos devient plus homocentrique, plus politique : l'humanité se place alors à l'origine de tous les maux, de la destruction de sa propre planète, le metteur en scène du ballet infernal dont il est aussi l'interprète principal, l'artisan de sa propre fin. C'est au travers de tout cela que l'on retrouve l'engagement habituel de Bong Joon-Ho.

Snowpiercer, à défaut d'être un chef d'oeuvre, se révèle donc plutôt réussi. Personnel sans dénaturer l'oeuvre originale de Jacques LobJean-Marc Rochette et Benjamin Legrand, ce film se montre efficace, tant par sa réalisation énergique que par sa narration, et ne laisse clairement pas indifférent tant les notions abordées se montrent polémiques et actuelles. 

Snowpiercer

Réalisé par : Bong Joon Ho
Casting :
Genre : Drame , Science fiction
Nationalité : Sud-Coréen