La pluie tombait sur la ville endormie. C'était une de ces pluies visqueuses dont les gouttes chutent du ciel comme des balles molles, boules de suif propulsées par la gravité. L'eau bavait sur les murs, ruisselait dans les caniveaux, recouvrant la ville d'une pellicule humide et grasse. De temps en temps un néon détraqué irradiait sa lumière fluorescente et maladive sur les murs détrempés de la ruelle avant de s'éteindre en grésillant.
Rock essayait de dormir, enveloppé dans un carton humide au milieu des ordures, poubelle parmi les poubelles. Il avait la tête embrumée et les paupières lourdes. Cela faisait une semaine qu'il n'avait rien avalé et il était à bout de forces. Il ne souhaitait plus qu'une seule chose, s'endormir et mourir sur ces restes de la vie d'une bonne vingtaine de personnes, ne faire plus qu'un avec la crasse et les déchets que l'homme laisse invariablement derrière lui, comme pour marquer son territoire. Car c'était ce qu'il était, une déjection de l'humanité, un marginal dont personne ne voulait, une anomalie. Quoi de plus logique que de mourir sur une poubelle, le seul lieu où il se soit vraiment senti chez lui, à sa place ?
Mais malgré tous ses efforts il demeurait incapable de trouver ce repos tant attendu et de se laisser sombrer dans cet abîme cotonneux et réconfortant qu'était le sommeil. Bien qu'il en ignorât les raisons, il était extrêmement tendu. Au fond de son esprit torturé et agonisant une chose, comme une voix inaudible, l’obligeait à rester éveillé, à survivre à tout prix. Une vague de fatalisme balaya tout ce qui lui restait d'optimisme et d'espoir. Ainsi même la mort le rejetait ? Pourquoi donc était-il venu au monde parmi ces contrefaçons de l'évolution, ces hommes redevenus bêtes sauvages, ces régressifs ? Etait-il né uniquement pour être rejeté ?
Une voiture s'engagea dans la ruelle et son bruit le tira de sa torpeur fièvreuse. Il tenta d'ouvrir les yeux mais il dut les refermer aussitôt, aveuglé par les puissants phares halogènes du véhicule. Ses yeux le piquaient et des larmes coulaient le long de ses joues. Il grogna de douleur. Le véhicule s'arrêta dans un crissement de pneus à quelques mètres du tas de détritus dans lequel il se terrait puis il entendit des portières s'ouvrir et des bruits de pas allant dans sa direction.
Les hommes étaient maintenant tout proches. Ils étaient trois, empestant la cigarette et l'alcool. Ils était probablement armés car leurs vêtements sentaient aussi la poudre. Rock se mit à prier pour qu'ils soient saouls, sillonnant les ruelles en quête d'un clochard qu'ils pourraient à loisir étriper et souhaita que leur choix se porte sur lui. Il les laissa donc approcher, serein, feignant un sommeil qu'il était incapable de trouver. Il percevait chacun de leurs mouvements, entendait leur respiration, sentait leur proximité. L'un d'entre eux se pencha sur lui et il sentit dans son cou la morsure d'un pistolet à injection hypodermique.
Rock voulut réagir mais déjà la substance qui circulait dans ses veines agissait, anesthésiant son corps, inhibant ses muscles, se propageant de cellule à cellule comme une gangrène rongeant peu à peu ses sens. Cloué au sol par quelque force invisible, il avait la sensation d'être une marionnette sans ficelle, condamnée à une immobilité de chiffon.
Un des hommes pianota un numéro sur un téléphone cellulaire :
« Nous en avons trouvé un... Non, aucun problèmes. Il n'a même pas bougé... Il dormait, je crois... Bien, on vous l'apporte tout de suite.»
L'homme raccrocha. Il s'approcha et lui murmura à l'oreille que c'était son jour de chance, son haleine avait un parfum mentholé. Rock n'en entendit pas davantage car il venait de sombrer dans l'inconscience.
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