J'ai toujours beaucoup apprécié l'imagination foisonnante de Serge Brussolo, notamment lorsqu'il s'atèle à la Science-Fiction. Les univers qu'il dépeint sont à la fois complétement décalés mais mus par une logique interne propre qui les rend crédible, tout aussi fantasques qu'ils soient. Pour son retour à la SF, Brussolo publie directement en poche chez Folio. Le titre ? Frontière barbare.
Illustration inspirée de La Planète des Ouragans du même auteur. Par Aude de Carpentier |
David Sarella est exovétérinaire. De prime abord cela semble consister à soigner des animaux issus des quatre coins de l'univers connu. Sauf qu'en fait David travaille principalement pour l'armée. L'univers est vaste et certaines espèces exomorphes se prêtent assez mal à une coexistence pacifique. Les militaires demandent donc à David et ses collègues d'user de leur savoir faire afin de neutraliser chez les races extra-terrestres belliqueuses toute propension à la violence gratuite et aux instincts pouvant engendrer un comportement dangereux pour les autres. En gros, cela revient à pacifier des aliens en les assommant de médocs, de drogues ou en jouant du scalpel. Il va donc de soit que c'est une profession à peu près aussi sûre que de jongler avec des tronçonneuses.
De ce postulat de départ, le lecteur va suivre les aventures de notre héros assisté par sa femme, Ula. Comme d'habitude chez Brussolo, les scènes décrites sont souvent sidérantes et absurdes dans leur démesure, mais toujours en gardant ce je-ne-sais-quoi qui les rend plausibles. Par ailleurs, le roman se divise en réalité en deux parties relativement bien distinctes entres elles, tant par le ton que le contenu ; cela n'est pas sans rappeler la propension qu'ont les épisodes des Simpson dont les fins n'ont généralement plus grand chose à voir avec l'introduction.
L'univers de Brussolo est emplit de planètes fantasques et surprenantes. |
Si Brussolo revient à la SF, c'est au final parce qu'elle lui permet d'aborder plus librement des sujets délicats dont un traitement classique aurait été bien plus laborieux et complexe. Car 'il s'agit en fait ici d'un livre traitant du travail du deuil ; si le roman est divisé en deux parties, c'est avant tout parce que dans la perte d'un être cher il y a toujours un avant et un après.
Comme souvent dans le passé, je me suis servi de la SF comme d’une métaphore. J’ai fais semblant de parler d’éléphants qui crachent le feu pour parler en réalité d’autre chose. Certains diront que c’est là la recette du conte philosophique, moi je dirai que c’est peut-être simplement de la pudeur.
Serge Brussolo
Dans ce futur de fiction l'affliction se révèle honteuse, improductive, indélicate. Pour que les hommes ne soient plus tristes on leur prescrit des pilules pour faire disparaître la peine du deuil, pour qu'ils puissent être de nouveau opérationnels et utiles. Tout est fait pour maintenir l'humanité dans une atmosphère lénifiante : la pharmacopée au service du bien-être collectif, la religion pour le salut de l'âme, et peu importe le message tant qu'on y croit. Ta famille ne te plaît plus ? Aucun problème ! On t'en achète une de substitution. Sans douleur l'humanité semble perdre peu à peu ses valeurs, ses repères et s'enlise progressivement dans une insensibilité et une indifférence croissante.
Mais si tout cela n'est que l'évocation d'une dérive possible de notre société actuelle, elle ne fait que servir de toile de fond aux principales notions abordées par l'auteur au travers de son personnage principal : jusque où un homme est-il capable d'aller par amour puis par désespoir ? Comment combler le trou béant dans son existence laissé par la perte d'un être aimé ? La douleur et les sentiments sont-ils seulement liés à des réactions physiologiques, et que l'on peut donc annuler chimiquement ? La souffrance est-elle honteuse ? Au final, à chacun de trouver ses propres réponses car c'est bien là tout le travail du deuil.
Dans ce roman, Serge Brussolo nous livre donc une oeuvre personnelle, tant par sa continuité avec son imaginaire foisonnant que par les thématiques abordées. Disposant de plusieurs niveaux de lecture, il se révèle donc bien plus fin et complexe qu'il ne le laisse penser de prime abord. Après aussi longtemps je suis heureux d'avoir pu relire un Brussolo inédit de SF, d'autant plus de cette qualité.
Frontière barbare
Dimensions : 432 pages, sous couverture illustrée, 108 x 178 mm
Achevé d'imprimer : 01-03-2013
Editeur : Gallimard Folio SF
Genre > Sous-genre : Romans et récits > science-fiction
Catégorie > Sous-catégorie : SF > Science-fiction
Époque : XXe-XXIe siècle
Vol. n°450
ISBN : 9782070447763
Gencode : 9782070447763
Code distributeur : A44776
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