Mais remettons au
préalable cette histoire dans son cadre : l'Europe, encore hantée
par le spectre du national socialisme allemand, peine encore à se
remettre des deux Grandes Guerres et a parfois du mal à accepter de
ne pas avoir l'exclusivité de l'horreur humaine. Car l’Amérique latine eut également son lot d'atrocités, y compris l'Argentine qui
nous intéresse ici. Après des années de guerre civile, la junte
militaire prit le pouvoir et instaura le Processus de réorganisation national. Sous ce nom pompeux se
dissimule en fait un processus de terreur visant à éradiquer toute
forme d'opposition : enlèvements, torture, exécutions
arbitraires sont de la partie, sans
oublier les non moins tristement célèbres escadrons de la mort.
« D’abord, nous tuerons tous les agents de la subversion, puis leurs collaborateurs et puis enfin leurs sympathisants ; ensuite viendront les indifférents et enfin pour terminer les indécis »
fin 1977, déclaration du général Ibérico Saint-Jean, gouverneur de Buenos Aires.
C'est
donc dans ce joyeux contexte que s'ancre notre récit. Notre héros,
Elvio, est le fils du stricte et sévère colonel Aaron Guastivino,
en charge des interrogatoires. Homme consciencieux et professionnel,
ce dernier n'hésitait pas à ramener des devoirs à la maison et à
affiner ses techniques de torture sur des poupées. Cette
glorieuse figure paternelle morte pour son pays dans l'exercice de
ses fonctions fut le terreau dans lequel germa la perversité d'Elvio et sa pédiophilie ;
lorsque l'on t'as inculqué que l'Homme est chair, mensonges et
fausseté, on ne peut dès lors trouver qu'attirante la calme
perfection de ces objets à vocation ludique que sont les poupées. Car oui Elvio est
amoureux, à la folie, de Luisita, une magnifique poupée ancienne.
Poupée ancienne tête porcelaine Bébé Jumeau de SFBJ |
On en
arrive là où le travail réalisé est selon moi le plus remarquable, à
savoir le traitement du souvenir de cette période noire qu'un peuple
cherche à oublier. Pour cela différents moyens sont employés : premièrement, et ce de manière assez évidente, par le biais de l'histoire de ce garçon devenu un fonctionnaire insignifiant. Cette dernière personnifie à merveille la fuite par l'imaginaire
d'une réalité que l'on sait inacceptable. Ensuite, l'opposition qu'il existe
entre le dessin de Verala, tout en lignes simples et aplats, et la
noirceur de l'histoire concoctée par Trillo permet de mettre en
contraste cette triste réalité humaine qui ne saurait exister dans
un monde si beau et pur. Cette mise en relief se retrouve également
dans le personnage de Luisita, cette poupée au visage de porcelaine
et à la personnalité obscène. Le déni et une certaine acceptation occultive,
sont enfin évoqués dans l'ironie caractérisant certains dialogues
et points de vue de quelques personnages du récit.
Je ne
connais pas suffisamment la société argentine pour jauger de la
fidélité du portrait qu'en brossent les auteurs de cette bande
dessinée. Quoi qu'il en soit, le traitement léger par un absurde
teinté de fantastique de cette histoire ne fait qu'inciter une réflexion
personnelle autour des thématiques fortes qui la sous-tendent,
faisant de la lecture de « L'Héritage du Colonel » une
expérience à part entière.
L'Héritage du Colonel
Date de parution : 24/09/2008
ISBN : 978-2-7560-1382-4
Scénario : Carlos TRILLO
Dessin : Lucas SANTIAGO VARELA
Couleurs : Lucas SANTIAGO VARELA
Série : Héritage du colonel (L')
Collection : MIRAGES
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